jeudi 10 mai 2018

1848 - 1968








                      Que n'a t'on lu et entendu ces dernières semaines à l'occasion du cinquantième anniversaire du tristement célèbre Mai 1968 déclencheur de l'irrémédiable déclin de la France. L'article de Jean-Christophe Buisson rétablit la vérité et remet cet événement et ses tristes protagonistes à leur juste place : l'oubli et le néant....



(Réf. :  Le FigaroVox  10 Mai 2018, Jean-Christophe Buisson)



 «Ex-soixante-huitards, vous êtes vieux et votre culture aussi !»



                      " Parmi les mauvaises raisons de célébrer Mai 68, il en est une particulièrement stupide: son prétendu caractère inédit. On le sait, ce grand monôme étudiant, à peine rehaussé des sautes d'humeur des maoïstes et des sautes d'humour des situationnistes, puisait ses sources, ses références, ses chants, ses couleurs et ses slogans dans de précédents mouvements (Front Populaire, Commune, Révolution). Mais il y a mieux (ou pire). L'évidence que Mai 68 ne fut que la copie de février 1848. Et les 68ards, donc, de vulgaires et médiocres post-48ards. On en retrouve la preuve chez les plus grands écrivains français du XIXe siècle, ce qui fait des Miller, Geismar, Weber, Cohn-Bendit et autre July non pas des vieux jeunes mais des vieux vieux.


                      Passons sur le concept de génération, repris comme titre de l'excellente étude de Patrick Rotman et Hervé Hamon consacrée aux leaders et militants gauchistes des années 60-70: il est bien sûr un clin d'œil à la formule d'Alfred de Musset évoquant les acteurs de la révolution de février 48 («une génération ardente, pâle et généreuse»). Le fameux «esprit de mai» dont tout le monde se gargarise en ce mois de mai 2018, du théâtre de l'Odéon au festival de Cannes en passant par la BnF et le monde de l'édition? Sa définition exacte se trouve chez Tocqueville le 25 février 1848: «Mille systèmes étranges sortaient impétueusement de l'esprit des novateurs et se répandirent dans l'esprit troublé de la foule (…) Chacun proposait son plan: celui-ci le produisait dans les journaux: celui-là dans des placards, qui couvrirent bientôt les murs ; cet autre, en plein vent, par la parole. L'un prétendait détruire l'inégalité de fortunes, l'autre l'inégalité des lumières, le troisième entreprenait de niveler la plus ancienne des inégalités, celle de l'homme et de la femme ; on indiquait des spécifiques contre la pauvreté et des remèdes à ce mal du travail qui tourmente l'humanité depuis qu'elle existe».



Mai 68 ne fut que la copie de février 1848.  
                       Voilà pour l'ambiance. Les personnages? À ma droite, prenons Valéry Giscard d'Estaing, l'homme qui, à la tribune de l'Assemblée, s'écrie, dans un de ces élans de démagogie opportuniste dont il avait parfois le secret: «Qui donc n'entend, au travers de ces craquements, le rêve instinctif, généreux et passionné d'une jeunesse qui appelle une société plus fraternelle». Or, cette figure du bourgeois un peu honteux, rallié au «parti de la jeunesse» (Edgar Morin) et aux apprentis révolutionnaires, prêt à condescendre au peuple à défaut d'y descendre, Tocqueville l'avait aussi croisé: «les grands propriétaires aimaient à rappeler qu'ils avaient toujours été ennemis de la classe bourgeoise et toujours favorables à la classe ouvrière (…) ; les bourgeois eux-mêmes se rappelaient avec un certain orgueil que leurs pères avaient été ouvriers»…


                         Autre personnage-clé de Mai 68: le curé de gauche, incarnation de cette crise identitaire et sociologique de l'Église catholique récemment analysée avec brio par Guillaume Cuchet (Comment notre monde a cessé d'être chrétien, paru aux éditions du Seuil). Le père dominicain Jean Cardonnel, par exemple, brandissant la Bible dans des meetings à la Mutu toute de rouge décorée pour parler «Évangile et Révolution», puis répétant la même chose à ses ouailles. «Je pèse à leur juste poids tous les mots, raconte-t-il dans ses Mémoires: une grève générale qui paralyse les mécanismes d'une société injuste, scandaleusement inégalitaire, voilà l'authentique jeûne, le voilà le véritable Carême». (Précision: quelques années plus tard, le même Cardonnel visitera la Chine communiste de Mao dont il reviendra enthousiaste, comparant le pays à un immense couvent et le grand Timonier à son père abbé.) Était-ce si original? Gustave Flaubert, dans L'Éducation sentimentale, ne décrit-il pas déjà un curé s'adressant en février 1848 à une foule pour la convaincre que «l'ouvrier est prêtre, comme l'était le fondateur du socialisme, notre maître à tous, Jésus-Christ» et que «le christianisme est la clef de voûte et le fondement de l'édifice nouveau»? Et les insultes que reçoit Cardonnel («Menteur!», «Salaud!») sont-elles si éloignées de celles dont le curé flaubertien se retrouve couvert («Aristocrate!», «Canaille!»)? Seule différence: le dominicain de 68 se proclamant «fidèle rebelle» n'ira pas, lui, comme son alter ego de 48, jusqu'à proposer de faire des économies «en supprimant les églises, les saints ciboires et finalement tous les cultes». Tant qu'à faire.

                          Une féministe, maintenant? Flaubert toujours: «L'affranchissement du prolétaire, selon la Vatnaz, n'était possible que par l'affranchissement de la femme. Elle voulait son admissibilité à tous les emplois, la recherche de la paternité, un autre code, l'abolition ou, tout au moins, une réglementation du mariage la plus intelligente. Alors, chaque Française serait tenue d'épouser un Français ou d'adopter un vieillard. Il fallait que les nourrices ou les accoucheuses fussent des fonctionnaires salariées par l'État ; qu'il y eût un jury pour examiner les œuvres de femmes, des éditeurs spéciaux pour les femmes, une école polytechnique pour les femmes, une garde nationale pour les femmes, tout pour les femmes!»


             "Revendications baroques, dazibaos, désordre joyeux, prêtres rouges, féminisme, droite honteuse: Mai 68 n'a pas 50 ans mais 170 ans. Ex-68ards, vous êtes vieux et votre culture aussi."

                                                                  Jean-Christophe  BUISSON


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Les bobos, émanation des soixante-huitards et de leurs admirateurs, n'apprécieront sans doute pas cette excellente analyse d'un épiphénomène surjoué mais qui a déclenché un désordre moral et mentale que La France continue de payer encore aujourd'hui... 




                        25 février 1848, Lamartine refuse le drapeau rouge devant l'Hôtel de Ville 

  " Pour aimer la France, il faut sentir qu'elle a un passé".

                          Simone  WEIL