"La musique, elle nous prend comme une mère".
Charles BAUDELAIRE
.
Très beau concert vendredi 23 mai dernier à la cathédrale Notre-Dame du Havre donné par l'Ensemble Vocal Renaissance dirigé par Emmanuelle Pascal-Falala avec la participation de musiciens du conservatoire Honegger et les solistes Anne-Cécile Laurent (Soprano), Anne-Claire Tilly (Alto), Cédric Le Barbier (Basse).
PRÉSENTATION
DU PROGRAMME
Des profondeurs sombres d’une
cantate de Bach à la
lumière éclatante des psaumes de Zelenka, nous découvrons ce soir la
prestigieuse inventivité de deux compositeurs baroques contemporains, inspirés
par une foi inébranlable, le luthérien allemand Bach et le catholique Zelenka.
Jean Sébastien BACH (1685 -1750)
Bach a écrit la cantate Aus der Tiefer rufe, Herr zu Dir (BWV131)
en 1707 à l’âge de 22 ans. Il est admis aujourd’hui que cette « cantate
de pénitence pour un office expiatoire » est la toute première des
près de trois cents cantates écrites par le Cantor de Leipzig. Le texte,
composé à partir du Psaume 130 (De Profundis Clamavi), est une intense
prière adressée à Dieu par l’homme dans la détresse, souffrant du poids de ses
fautes mais espérant dans l’attente du Seigneur : « Aus der Tiefen rufe
ich, Herr, zu dir. Herr, höre meine Stimme » (Des profondeurs je crie vers
toi, Seigneur, écoute mon appel).
Dans cette
cantate Bach développe pour la première
fois « l’exaltation pénitentielle » de Martin Luther pour qui la
musique devait donner de l’expressivité aux textes bibliques. Cette exaltation,
cet attrait émotionnel de la musique éclate lorsque le chœur chante : «
Ich harre des Herrn, meine Seele harret, und ich hoffe auf sein Wort » (J’attends
le Seigneur, mon âme attend le Seigneur et j’espère en sa Parole).
Les thèmes de la supplication, de la douleur,
de l’imploration, de l’espérance et de la joie sont abordés en cinq mouvements
enchaînés selon la technique du motet, faisant de cette œuvre une véritable
fresque d’une grande profondeur d’inspiration. Bach illustre brillamment en
cela la conception luthérienne de la vie qu’il avait adoptée, en particulier la
nécessité d’affronter la mort avec courage, voire avec joie, espoir et foi.
Qui mieux que Raphaël
Pichon, grand admirateur de Bach, peut écrire :
« Bach est un compositeur plus humain que tout autre mettant tout
son génie au service de Dieu et en l’Homme, persuadé que la musique est la
première guérison de l’âme ».
Jan Dismas ZELENKA (1679
-1745)
Né en Bohème en 1679, Jan
Dismas Zelenka, directeur musical à la Chapelle Royale de Dresde, est considéré
comme le plus grand compositeur tchèque de son époque. Mais il faut attendre
1830 pour que ses œuvres soient redécouvertes, et les années 1960 pour qu’elles
soient données en concert.
Chef de file d’un
« baroque tardif », Zelenka, musicien au talent singulier et
sensible, est un homme en avance sur son temps. Sa musique repose sur une
parfaite mesure du contrepoint, une pulsation rythmique et une richesse
d’écriture concertante dignes de Bach. Une musique qui étonne par sa
virtuosité, dérange parfois l’oreille par ses harmonies hardies, et surprend
par sa puissance émotionnelle et sa profonde densité liturgique.
Son style
est aussi démonstratif que celui de Bach est sévère. Son inspiration plus
passionnée et joyeuse l’apparente souvent à Vivaldi et Haendel. Tout n’est
qu’imprévisibilité dans la musique de Zelenka, ce qui en fait sa principale
richesse et…sa difficulté d’interprétation.
Les trois pièces interprétées ce soir ont été
écrites en 1727-1728. Il s’agit de psaumes mis en musique « pour la
célébration des Vêpres pour l’année entière » (Psalmi Vespertini).
Nisi
Dominus (ZWV 92, Psaume
126) se présente comme un dialogue dynamique entre
chœur et voix solistes. Propulsé par un ostinato instrumental de huit mesures
joué à l’unisson, le discours musical suit pas à pas le texte latin et change
de couleur au gré des modulations successives, presque toutes dans le mode
mineur. Il se conclut par un Amen
d’une infinie tendresse.
Lauda Jerusalem (ZWV
104, Psaume 147) pour ténor
soliste et chœur, est une prière de louange pleine de vitalité construite en
forme de refrain-couplets auquel se greffe un ostinato resserré créant une
cohésion remarquable entre thématique, forme et expression. L’œuvre s’achève
par une fugue sur un motif déjà présenté. Toute la maîtrise et l’inventivité de
l’écriture de Zelenka se trouve ainsi résumée dans cette courte pièce.
La musique audacieuse et tourmentée du
Dixit Dominus (ZWV 66, Psaume
109) témoigne davantage encore de la relation intime que Zelenka parvient à
créer entre texte et musique. Le psaume 109, évoquant la puissance
divine, le jugement dernier et le châtiment, est traité de manière théâtrale et
descriptive dans une succession de courtes scènes. Cette œuvre, à la vivacité toute
haendélienne, est un somptueux chemin musical chargé d’émotions diverses et
d’envolées lyriques, fragmenté par des silences expressifs et des changements
de rythmes et de tonalité.
C’est cette musique pleine de caractère qui a
fait dire à un musicologue allemand, Wolfgang Horn : « La musique de Zelenka
ne coule pas comme un fleuve paisible mais plutôt comme un torrent qui se brise
continuellement sur un rocher ».
"Quand je voulais chanter l'amour, il se faisait douleur. Et si je me mettais à chanter la douleur, alors elle se faisait amour".
Franz SCHUBERT