« Le gaullisme est un mot de
passe entre irréguliers que l’air du temps indispose. »
« Nous autres, les
orphelins, quel autre recours contre la passivité voyeuriste dans laquelle on
veut nous encager que de pérenniser le songe gaullien en ressuscitant l’esprit
de chevalerie ?.. »
Denis TILLINAC
Le
Tour de France, les sapins de Noël ? Pas assez “écolos”. Les
“gilets jaunes” ? Des populistes. La gauche bobo méprise le petit peuple qui ne
sait plus voter “bien”. Dans son ultime chronique, parue dans notre dernier
numéro, Denis Tillinac, disparu ce jour, ferraillait encore
contre les folies de l'époque.
Le
maire de Grenoble
n'aime pas le Tour de France, celui de Bordeaux n'aime
pas les sapins de Noël. Leurs arguties ineptes maquillent en souci écologique
un mépris de caste pour les réjouissances ou les traditions populaires. Rien de
plus, rien de moins. Depuis que l'électorat communiste a viré au lepénisme, la
gauche bobo laisse suinter à ciel ouvert et sans scrupule son aversion pour le
populo. À son aune, le mot cherche la rime entre clodo et “facho”. Sous le
règne de Mitterrand, elle affectait encore des compassions de dame patronnesse
pour les prolétaires : ils votaient “bien”. Mais son pathos flattait à
l'encolure un “peuple de gauche” de plus en plus virtuel, il singeait sans plus
y croire le lyrisme de Gambetta, de Jaurès ou de Blum.
À présent, son hostilité aux mœurs populaires
ne prend plus la peine de biaiser : le prolo n'est qu'un beauf vautré dans sa
ringardise, suspecté de pulsions “nauséabondes”, il faut le museler s'il
s'avise d'exprimer sa colère. D'où une hostilité viscérale envers les “gilets
jaunes” dans la phase initiale du mouvement, quand il était provincial,
apolitique, bon enfant et saucissonnait au rouge qui tache sur les ronds-points
à la périphérie des villes moyennes. Une seule solution pour diluer ce mépris
de classe dans un semblant de conscience politique avouable : dégainer
l'imputation de “populisme”. Qu'est-ce qu'un populiste ? Un prolo qui n'adhère
pas aux présupposés du bobo, ignore son esthétique, récuse son snobisme, avoue
en toute candeur des goûts et des couleurs sans commune mesure avec la culture
de cour. Il est ouvrier, paysan, employé, boutiquier, camionneur ou chômeur.
Il « roule en diesel et fume des clopes » : cette définition
de l'inénarrable Griveaux a résumé sans fard le jugement du sérail. Il aurait
pu compléter la panoplie avec le Ricard, le foot, le PMU, le fast-food et la
gauloiserie. Le prolo est un nuisible qui vote “mal” ; à ce titre il n'a droit
qu'à la réclusion ad vitam dans l'enfer des réprouvés.
Fut
un temps où l'idéal (évangélique) de justice sociale était majoritairement
l'apanage du militantisme de gauche, politique et syndical. Honneur à ceux qui,
entre les soldats de l'an II et le Front pop, auront défié les puissants,
souvent au péril de leur vie, pour enfanter un monde moins dur aux humbles !
Honneur aux “hussards noirs” qui auront inculqué aux futurs poilus de 1914-1918
l'amour sans clause de style de la vertu et de la patrie ! Honneur aussi aux
cathos qui auront pris le parti des pauvres, et non celui du châtelain, de
l'évêque ou du maître des forges, nonobstant l'anticléricalisme ambiant ! Oui,
la gauche de Hugo, de Zola, de Vallès, de Péguy a des titres à notre respect,
autant que la droite (ou plutôt les droites) de Chateaubriand, de Tocqueville
ou de Bernanos.
Ces
droits, la gauche sartrienne les a ruinés après la Libération par sa soumission
lamentable à la folie stalinienne. Encore avait-elle un alibi, dont elle a
abusé : le PCF était indéniablement le parti de la classe ouvrière. Privés de
cet expédiant, ses héritiers recyclent leur pharisaïsme dans la défense et
illustration des “minorités”, mais cette défausse ne trompe personne, elle
permet juste de cautionner une mise au rebut du Français des faubourgs et des
zones rurales. On lui trouve de mauvaises manières, on lui prête de mauvais
instincts. On lui règle son compte en le noyant dans cet « archipel
» de « communautés » décrit par Jérôme Fourquet.
On
? Des faux derches qui osent encore se réclamer de la gauche, mais
déshonorent la mémoire de ses héros. Pas tous, soyons juste.
En tout cas le gratin écolo des métropoles. Et comme la droite a pareillement
renié les figures de son imaginaire, le peuple français, orphelin à tous
égards, cherche en aveugle à qui, à quoi se raccrocher.
Conformément
à la prophétie de Marx, l'histoire rejoue ce qu'elle a forgé dans le sang et
les larmes sur le mode de la farce. C'est une mauvaise farce qui a mis sur le pavois municipal les
contempteurs soi-disant “bio” du Tour de France et du sapin de Noël, à la
faveur d'un scrutin dévoyé par un taux énorme d'abstentionnistes. Puissent les
élections à venir les renvoyer à leurs trottinettes, ils ridiculisent une cause
par ailleurs très défendable.
« ….Cet ancien monde où les vivants n’en finissaient pas de dialoguer avec leurs antécédents..... »
«.... Dans le nouveau monde,
qu’ils soient morts ou vifs, les vivants sont seuls au monde, dos au mur face à un
précipice. »
Denis TILLINAC
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