" Une Eglise qui ferme ses églises ne peut susciter qu'une sorte de vocation : la vocation du serrurier."
Philippe de VILLIERS
L'analyse du philosophe Pierre Manent montre avec pertinence et sans concession avec quel acharnement la République Française s'attache à déchristianiser notre pays depuis des décennies, bien aidé, hélas, par la pusillanimité de l'épiscopat français.
Ce conflit met aussi en lumière le conflit au sein même de l'Eglise catholique entre les tenants de la nouvelle église "sociale" reconvertie en ONG, voulue et encouragée par le Pape François, et les jeunes catholiques charismatiques, honnis par leurs aînés post soixante-huitards, nostalgiques de Vatican II, pour qui la messe est le sommet de la vie d'un chrétien.
Réf.: Le Figaro, 27 novembre 2020
«Une offense délibérée à l’Église catholique»
TRIBUNE - Le philosophe, qui occupe une place éminente dans le paysage intellectuel français, exprime sa très vive réprobation devant l’attitude de l’exécutif sur l’affaire de la «jauge» dans les églises et en dégage les enseignements.
Par Pierre MANENT
Disciple de Raymond Aron, dont il fut l’assistant au Collège de France, directeur d’études honoraire à l’École des hautes études en sciences sociales, Pierre Manent s’est en particulier consacré à l’étude des formes politiques - tribu, cité, empire, nation - et à l’histoire politique, intellectuelle et religieuse de l’Occident. Plusieurs de ses ouvrages, tels Histoire intellectuelle du libéralisme et Les Métamorphoses de la cité, sont des classiques.
La scène de comédie, fort peu amusante, qui vient de se dérouler à propos de la réouverture des cultes, est révélatrice du triste état de notre vie publique.
Le gouvernement avait proposé une «jauge» évidemment impraticable, et si ridicule qu’elle était une insulte à l’égard de ceux qui étaient supposés s’y plier. Le président, qui l’avait, à la surprise générale, reprise dans son intervention du 24 novembre, fit savoir le soir même au président de la Conférence des évêques de France qu’elle serait revue et qu’une nouvelle jauge plus réaliste serait proposée par le premier ministre le jeudi 26. Point ne voulut le premier ministre, qui confirma la limite de trente participants quelles que soient les dimensions du lieu de culte.
Ainsi le président, qui disait vouloir «réparer» les relations entre l’Église et l’État, se fait-il l’auxiliaire mi honteux d’une offense délibérée à l’Église catholique, qui de tous les cultes est la plus concernée par ces mesures et à qui l’on déclare en face: nous nous moquons royalement des droits et des souhaits des fidèles.
Le premier ministre est le porte-parole empressé d’un État dont l’impuissance chaque jour plus visible à faire face aux problèmes du pays est compensée par un autoritarisme croissant s’exerçant de préférence, ou plutôt exclusivement, sur ceux qui sont jugés trop faibles ou trop soumis pour se défendre.
J’ai dénoncé en son temps la brutalité mécanique du premier confinement, le recours immédiat à la surveillance policière la plus mesquine, et la transformation quasi instantanée du gardien de nos libertés en vérificateur vétilleux de notre obéissance. On ne sortirait pas aisément d’une situation qui permettait à l’organe exécutif de la nation de retrouver le bonheur oublié d’être enfin obéi. De bons esprits jugèrent ces craintes infondées. Nous y sommes pourtant.
Un État qui s’est révélé incapable de conduire aucune démarche un peu active de politique sanitaire, ne sait que revenir à l’immobilisation générale, compensée par des traites illimitées tirées sur l’avenir. Tout cela en appelant chacun à la «responsabilité».
Nous sommes parvenus à un état social et moral où la religion a été pour ainsi dire chassée de la vie commune Le même État se croit autorisé par l’urgence sanitaire à effacer la vie religieuse du paysage collectif. Sur nos attestations, pas une ligne pour autoriser à se rendre dans un lieu de culte. En dépit des protestations les mieux fondées, l’État persista dans son refus de faire la moindre place à la vie religieuse dans le document dont chaque Français est tenu de se munir. Comment expliquer cela?
D’abord, un calcul politique aussi vieux que la République est à l’œuvre. Compte tenu de l’histoire de notre pays et du rapport des forces politiques, cela ne peut pas faire de mal de traiter rudement les catholiques et de montrer ainsi que l’on est du bon côté des Lumières. C’est l’aspect le plus superficiel, sinon le plus glorieux, de la situation.
Surtout, nous sommes parvenus à un état social et moral où la religion a été pour ainsi dire chassée de la vie commune. On accorde à chacun le droit de croire ce qu’il veut, mais dès que la religion se manifeste dans l’espace public, elle suscite non pas nécessairement une hostilité active mais plutôt une morne aversion, un rejet paresseux mais implacable. L’ignorance en matière de religion est devenue un fait politique majeur dans notre pays.
Accorder à la République une autorité « supérieure », c’est faire de la laïcité une religion et de la République une Église. [...] ce n’est pas la règle de la laïcité Comment parler raisonnablement de la place des religions ou de la laïcité quand l’opinion générale non seulement est très ignorante, elle l’a toujours été, mais n’a pas la moindre idée de ce dont il s’agit? Lorsqu’il y a quelques jours les catholiques ont commencé à manifester quelque impatience, on entendit sur les radios d’État les commentateurs accrédités parler avec assurance d’un pays qui leur est tout à fait inconnu. Manifestement ils n’ont pas la moindre idée de ce qui se passe dans une église quand les fidèles se réunissent autour du prêtre pour la messe.
Cette fermeture à un aspect fondamental de la vie humaine s’est trouvée malencontreusement justifiée et consolidée par une interprétation de plus en plus exorbitante de la laïcité, selon laquelle la vie des religions se trouverait sous le commandement de l’État. La loi politique, la loi de la République, est la loi commune, la loi à laquelle sont tenus d’obéir les citoyens. C’est la loi la plus générale. Lui accorder une autorité «supérieure», c’est faire de la laïcité une religion et de la République une Église. Ce fut le souhait de certains «républicains», ce n’est pas la règle de la laïcité.
Les catholiques obéissent à la loi de la République dont ils sont les citoyens. Ils sont attachés à leur foi et à leur Église comme à la forme même de leur vie. Ils ne demandent rien d’autre à la République que de continuer à jouir de la liberté de «vivre en Église». Ils n’appartiennent pas à une humanité-enfant qui n’aurait pas encore accédé à la maturité. La condescendance avec laquelle ils sont traités ne fait pas honneur au gouvernement de la République.
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"La messe est dite" ! si je puis dire .....
" Dieu parle, il faut qu'on lui réponde."
Alfred de MUSSET
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